Et voilà que la chasse au binational est lancée! Cela fait des années qu’on sent la menace poindre sans savoir quel serait l’événement catalyseur qui en ferait un thème prépondérant.
Ainsi, le fondateur du Front national Jean-Marie Le Pen, le député de Debout la République Nicolas Dupont-Aignan, le fondateur du Mouvement pour la France Philippe de Villiers ont souvent dénoncé le fait que des ressortissants français possèdent une autre nationalité.
Mais leurs propos n’ont jamais créé de polémiques majeures et la thèse d’une binationalité contraire aux intérêts de la France n’a guère pris auprès de l’opinion publique.
Il aura donc fallu que des dirigeants du football français envisagent de limiter l’accès à la formation à de jeunes footballeurs binationaux pour que le sujet devienne matière à controverses et à chicanes franco-françaises.
Le football français, le prétexte attendu
Revenons d’abord sur cette fameuse affaire des quotas. Cette dernière constitue un cas d’école en matière de manœuvres dilatoires dans un cadre de communication de crise. En effet, le véritable problème dans l’affaire n’était pas de savoir si le sélectionneur de l'équipe de France Laurent Blanc est raciste ou non —c’est, malheureusement, sur ce point que le débat s’est focalisé— en réalité, ce qui est scandaleux, c’est que l’on ait envisagé de limiter l’accès à la formation à des jeunes de 12 ou 13 ans au prétexte qu’ils pourraient, à l’avenir, opter pour une autre équipe que celle de France.
Voilà donc de jeunes Français —car il s’agit bien de ressortissants français— à qui l’on fait un procès d’intention à un moment où la majorité d’entre eux ne possèdent même pas de seconde nationalité! Pour résumer, on pourrait dire que le message adressé à ces gamins est le suivant:
«Certes, tu es Français, mais comme tu pourrais aussi opter plus tard pour la nationalité sénégalaise ou algérienne, on ne veut pas de toi!»
On passera rapidement sur le fait que la majorité des jeunes qui entrent en formation ne rêvent que d’une seule chose: vivre la même aventure que les Zidane, Henry, Dessailly… En effet, à de rares exceptions près, opter pour une autre équipe nationale est souvent un choix par défaut. Cela n’empêche pas certains commentateurs de s’indigner que la France puisse former des joueurs qui s’en iront renforcer les Eléphants de Côte d’Ivoire ou les Aigles de Carthage alors qu’il est admis qu’ils n’ont pas le niveau pour jouer avec les Bleus. Il est étrange de ne jamais entendre ces mêmes commentateurs s’indigner du fait que les meilleurs chercheurs français —formés avec l’argent public français— s’en aillent faire les beaux jours des laboratoires américains ou canadiens…
Cela étant, et pour être honnête, on doit se demander si cette question des binationaux n’a pas été l’excuse inventée pour écarter les noirs et les Arabes des centres de formation afin de rendre plus blanche l’élite du football français. Les dirigeants incriminés ont peut-être pensé que discriminer les binationaux serait jugé bien moins grave qu’une stratégie visant à faire en sorte que l’équipe de France soit moins «black-beur».
On ne saura peut-être jamais la vérité sur ce sordide méli-mélo vite escamoté mais une chose est certaine: le binational est désormais un bouc émissaire commode. Et l’idée de le soumettre à des contraintes va faire son chemin dans le football, et donc dans le reste de la société française.
«Mettre en place des quotas serait une pratique inadmissible et, au surplus, totalement illégale», juge Séverine Labat, politologue, chercheur au CNRS et auteur d’un livre récent sur les binationaux franco-algériens (La France réinventée: les nouveaux bi-nationaux franco-algériens). Pour elle, «il est fort dommage que l'affaire ait été si vite enterrée par le ministère des Sports, privant ainsi la société française d'un débat sein et serein quant au phénomène, appelé à prospérer, de la binationalité.»
Et de se demander s’il faut «s'attendre, désormais, à découvrir que des politiques de quotas sont appliquées aux binationaux dans d'autres secteurs»?
Limiter les droits des binationaux
C’est, en tous les cas, ce que souhaiterait Claude Goasguen, député UMP et maire du seizième arrondissement parisien. Cet ancien militant du groupe d’extrême-droite Occident suggère une «limitation des droits politiques des binationaux» car il juge «gênant qu’une personne puisse voter en France et dans un autre pays». Et de proposer dans la foulée «la création d’un registre des binationaux».
Outre son caractère discriminatoire, cette sortie, qui a choqué y compris au sein de l’UMP, notamment le député Thierry Mariani (UMP), doit être regardée de plus près. Quand il évoque les binationaux, Claude Goasguen semble se focaliser uniquement sur les Africains et les Maghrébins et notamment ceux qui viennent d’accéder à la nationalité française.
«La nationalité est une adhésion, et pas seulement une simple carte plastifiée, il faut insister sur son caractère volontaire. […] Pour être intégré, quand on demande la nationalité française, le minimum c’est qu’éventuellement on accepte d’abandonner son autre nationalité», a ainsi expliqué Claude Goasguen sur les ondes de RTL, une radio française.
Voilà donc défini, de manière implicite, le périmètre des binationaux à surveiller. Il serait intéressant de savoir si ce que prône Goasguen concerne les autres binationaux notamment les Franco-Américains, les Franco-Allemands sans oublier les Franco-Israéliens.
Seront-ils tous concernés par le fameux registre? Devront-ils renoncer à leur autre citoyenneté sous peine de perdre des droits, politiques ou autres, en France? Ou alors, va-t-on nous expliquer qu’il existe des binationaux plus français que d’autres? Qu’il existe des binationaux potentiellement plus déloyaux vis-à-vis de la France que d’autres? Et si ce débat sur les binationaux ne revenait pas à remettre au goût du jour les propos pestilentiels sur les «vrais Français» et les autres.
«La question de la binationalité risque-t-elle, pour le plus grand mal de notre pays, de se focaliser uniquement sur les ressortissants d'un Empire dont nombreux sont ceux qui ne se sont pas résolus à sa perte?» s’interroge Séverine Labat. Pour la politologue, «ce serait, dans pareil cas, une occasion manquée de nous réconcilier autour d'un pacte républicain refondé, où les expressions de la diversité seraient enfin reconnues dans le but d'apaiser des tensions par ailleurs attisées par certains boute-feux peu soucieux, voire hostiles, à l'émergence d'une France qui pourtant si elle veut, selon la formule consacrée, demeurer "éternelle", ne peut se permettre d'en faire l'économie.»
Les Franco-Algériens pris entre deux feux
Ironie de l’histoire, c’est plutôt dans les pays de l’autre nationalité que les binationaux étaient jusque-là fustigés. Le meilleur exemple est celui de l’Algérie où, de manière récurrente, de hauts responsables traitent les Algéro-Français de «traîtres», de «cinquième colonne» ou de citoyens qu’il faudrait déchoir de la nationalité algérienne ou à qui il faudrait, tout au moins, interdire d’occuper des postes importants.
L’affaire est d’autant plus importante que l’on ne connaît pas le nombre exact de binationaux franco-algériens vivant en France et encore moins ceux qui vivent en Algérie.
«La législation française interdit la collecte de statistiques ethniques même si l'affaire Laurent Blanc a prouvé que certaines institutions violent allègrement cet interdit», explique Séverine Labat. «Il est donc extrêmement difficile du chiffrer avec précision le nombre de binationaux franco-algériens. Les consulats algériens ne disposent que des seuls chiffres d'Algériens qui y sont inscrits. Par extrapolation, il se dit que les binationaux représenteraient quelque 4 millions d'individus, statistique communément admise par les autorités françaises.»
Un chiffre important qui, pour l’heure, n’a jamais fait l’objet de surenchères politiciennes en France. A l’inverse, en Algérie, il arrive souvent que l’on évoque les centaines de milliers d’Algériens vivant en Algérie mais ayant secrètement la nationalité française.
Ainsi, les binationaux seraient un élément important du fameux Hizb frança (le parti de la France), que les membres de la «famille révolutionnaire» continuent encore à dénoncer, près de cinquante ans après l’indépendance…
«Même si le chiffre de 4 millions de Franco-Algériens doit être manié avec prudence, il signale l'ampleur du phénomène», relève Séverine Labat. «Si l'on y ajoute les autres binationaux ressortissants de notre ex-empire, notamment les Tunisiens, les Marocains et les Sénégalais —désignés sous le vocable de "Sénèfe"— sans compter les binationaux issus d'autres contrées, on réalise aisément que la classe politique puisse être aux aguets... Mais il convient, et c'est essentiel, de noter que peu lui chaud que des Français possèdent la nationalité américaine ou norvégienne, comme c'est le cas d'Eva Joly, candidate potentielle à la présidentielle de 2012...»
Akram Belkaïd
A lire aussi
Immigration: le grand mensonge européen
Guéant, le côté obscur de la France