Le mot paella vous évoque un grand méli-mélo à base de riz et d'à peu près n'importe quoi? C'est que vous n'êtes certainement pas espagnol et encore moins de la région de Valence, d'où est originaire le célèbre plat ibérique. Une étude très sérieuse réalisée par des chercheurs de l'Université de Valence et publiée récemment dans le prestigieux International Journal of Gastronomy and Food Science a, en effet, établi que la recette de la véritable paella valenciana se limite essentiellement à dix ingrédients: riz, eau, huile d'olive, sel, safran, tomate, haricots plats, garrofón (haricots de Valence), poulet et lapin.
Ce résultat a été obtenu après une enquête minutieuse dirigée par l'anthropologue Pablo Vidal et menée dans 266 communes de la province de Valence auprès de près de 400 cuisiniers non professionnels âgés de plus de 50 ans. L'enquête a aussi montré que, outre les dix ingrédients essentiels (utilisés par plus de 90% des personnes interrogées), cinquante autres ingrédients étaient utilisés plus ou moins couramment, mais dans des proportions bien moindres, avec en tête le paprika (62,5%), le romarin (52,2%) et l'artichaut (46,3%, mais en hiver uniquement). Le site participatif wikipaella.org, qui le premier s'était donné pour mission de recenser les ingrédients de la véritable paella de Valence, évoque aussi la possibilité d'y mettre… des escargots.
«Attentat gastronomique»
Cités par le journal El País, les auteurs de l'étude affirment que ces résultats «permettent enfin d'exclure les ingrédients qui ne sont jamais utilisés et doivent être évités dans une véritable paella valenciana. […] Si l'on utilise ce nom, il faut s'en tenir à ces dix ingrédients de base. On peut, bien sûr, aussi utiliser les autres ingrédients occasionnels, mais il faut éviter tout ce qui sort de cette liste étendue.» Ils proposent d'appeler ces plats peu respectueux de la véritable recette «riz à quelque chose, ou à la rigueur “paella”, mais sans l'adjectif “valenciana”».
Faut-il, alors, donner tort à Michel Audiard qui, dans Un singe en hiver, faisait dire à Jean-Paul Belmondo que «Une paella sans coquillage, c'est comme un gigot sans ail, un escroc sans rosette: quelque chose qui déplaît à Dieu»? On pourrait… mais n'allons pas trop vite en besogne. Comme on peut le constater sur wikipaella.org, la paella marinera («paella de la mer») a parfaitement droit de cité parmi les plats typiques de la région, mais elle est alors réalisée sans viande.
Et le chorizo, que l'on retrouve dans la quasi-totalité des recettes de paella françaises? S'il y a bien un ingrédient à proscrire pour préparer une paella authentique, il semble que ce soit celui-là. En 2020, le chef espagnol Karlos Arguiñano s'est attiré les foudres des puristes de la paella en proposant une «paella mixte» à base de poulet, fruits de mer… et chorizo. Enric Morera, président du Parlement de la région de Valence, est allé jusqu'à qualifier la recette d'«attentat gastronomique»:
@enricmorera, president de les Corts, qualifica d'"atemptat gastronòmic" la paella d'@karguinano i demana que rectifique públicament i que li lleve el xoriç🥘 #LaTerrassa #CompartimÀPunt @apunt_media @cortsval pic.twitter.com/nImPvUlpMT
— La Terrassa (@laterrassaapunt) August 7, 2020
Cela n'était pas sans rappeler le «paellagate» déclenché en 2016 par le très médiatique chef britannique Jamie Oliver qui, en proposant une recette de paella incluant du chorizo, avait suscité de nombreuses moqueries de l'autre côté des Pyrénées.
My version of fish and chips combines aubergines with duck.
— Antonio Villarreal (@bajoelbillete) October 4, 2016
«Ma version du fish and chips combine aubergines et canard.»